Les premières traces d’activités verrières dans les Vosges du Nord datent du XVIe siècle. À cette époque, les implantations de fours (Stützenhütten) y sont nombreuses. Ces fours rudimentaires, construits en fond de vallée, permettent le travail du verre. Tout y converge : le grès argileux pour façonner les pots, étuves de la fusion des matériaux; le sable, composant essentiel à la fabrication du verre; la potasse (cendres de bruyère et de fougère lavées dans le ruisseau) et le bois-combustible, qu’il faut acheminer en quantité importante. Autour se construisent des baraquements, se cultivent des jardins, paissent et picorent quelques bêtes. Le ruisseau permet de mouvoir des meules pour travailler le verre ou moudre le grain et subvient aux besoins des familles en eau et en poisson. Parmi ces pionniers, certains se font colporteurs de verre et sillonnent les contrées voisines pour faire commerce de gobelets, vitres et bouteilles. Au bout de quelques années, à force de couper les arbres, la distance à parcourir par les hommes entre la lisière de la forêt et les fours est trop grande. Dépendant de la proximité des gisements naturels de matières premières, la petite communauté nomade démonte alors son campement et s’installe dans une autre vallée boisée.
Une de ces implantations se fait en 1629 par quelques familles qui fondent la verrerie dite de « la Sucht » (village actuel de Soucht à 2 km de Meisenthal). Lors de la Guerre de trente ans (1618–1648), les Suédois dévastent le pays et sèment souffrances, famine et désolation. L’histoire verrière des Vosges du Nord aurait pu s’arrêter là, mais les descendants d’Adam Walter de la verrerie de Soucht, créent une verrerie en 1704, à Meisenthal, sur les vestiges d’anciens lieux déjà habités au XIIème siècle. On peut légitimement considérer cette famille comme la communauté–mère de toutes les implantations verrières sédentaires locales. Avec les verreries de Goetzenbruck (1721) et Münzthal – St Louis – (1767), ces trois unités de production, voisines de quelques kilomètres à peine, vont être à l’origine de mutations sociales, démographiques et économiques sans précédent. Elles incarnent le point de départ d’un bassin de vie qui existe encore aujourd’hui.
La Verrerie de Meisenthal est fondée en 1704 et dès 1711, les premiers fours sont allumés dans la pittoresque vallée. Bientôt s’élèvent les premiers logements, séchoirs à bois, four à potasse et à verre. Outre les verriers, on compte bientôt au village des tiseurs, bûcherons, manœuvres, voituriers… L’épopée industrielle du village de Meisenthal peut commencer. Sont essentiellement produits des objets de nécessité courante, des bouteilles et des bocaux pour conserver aliments et boissons, du verre à vitre pour se protéger, écoulés sur les marchés locaux (lorrains et alsaciens). C’est la production d’élément de gobeleterie courante (services de tables complets –verre à boire, carafes, gobelets …-, mielier, moutardiers, plats à tarte, …). qui va à jamais signer la spécificité de la Verrerie de Meisenthal. Peu à peu, avec l’amélioration des modes de transport et d’échanges commerciaux, la verrerie se développe et distribue ses produits à travers le monde.
De 1867 à 1894, Emile Gallé, accompagné du fantastique savoir-faire des verriers locaux, entreprit des recherches techniques qui aboutirent à la création d’objets qui font partie désormais de la légende. Le créateur nancéen visionnaire, botaniste et grand humaniste engagé, va, dans toute son œuvre (travail du bois, de la céramique, du verre, écrits…), s’affranchir progressivement des styles du passé et s’inspirer de la nature dans la création de décors et de formes. Son intérêt et ses recherches pour la nature ainsi que la perfection du détail dans sa retranscription vont l’obliger à explorer et innover un certain nombre de techniques dont les techniques verrières à Meisenthal qui est aujourd’hui considérée comme le berceau du verre « Art Nouveau »…
Au début du XXème siècle, l’avènement du charbon permet à la Verrerie de Meisenthal de se développer. Dans les années 1920 la manufacture produit principalement du verre utilitaire « soufflé et pressé » et emploie près de 650 salariés. Au sortir de la seconde guerre mondiale, Meisenthal résiste et se spécialise dans la verrerie et la gobeleterie à la main : verre blanc, verre opale et couleur, service de table… La production annuelle de l’usine atteindra 5,5 millions de pièces en 1963, et l’on compte alors parmi ses clients prestigieux le Shah d’Iran. A la fin des années 1960, la concurrence des verreries mécanisées belges et allemandes dans le domaine de la gobeleterie notamment, et la mutation des modes de consommation, enclenchent le déclin de l’usine de Meisenthal. La Verrerie, qui ne fait pas le choix de la modernisation de l’outil de production, stoppe son activité le 31 décembre 1969 et se sépare de ses 230 derniers salariés, laissant dans son sillage une sirène aphone, l’église noire de fumées et les souvenirs friables d’une aventure ouvrière désormais éteinte. Plein emploi oblige, pas de grands mouvements sociaux, pas de révolte. Juste la petite mort anodine d’une société anonyme.
Dans la foulée de multiples activités locales induites s’éteignent à leur tour (quincaillerie et autres commerces du village, fermeture de sa gare et de la liaison ferrée…). En l’espace de quelques mois les ferrailleurs désossent l’usine et reconvertissent 8000 moules en métal. L’outil de production est inexploitable et l’usine qui occupe un hectare, n’a plus aucune valeur marchande. D’usine pleine de vie, le site devient rapidement friche abandonnée, vouée à un destin incertain. Pendant les années qui suivirent la fermeture du site industriel, l’on observe des mouvements spontanés d’occupation : aire de stockage communale, dépôt pour des artisans ou agriculteurs locaux, terrain de jeu et d’exploration pour des générations d’enfants, ateliers d’artistes locaux… Au-delà de la perte de l’outil de production et de travail pour les autochtones, il est une perte bien plus grande, que même l’énergie des plus courageux ne saurait ressusciter : les savoir-faire spécifiques liés aux typologies d’objets développés par la verrerie pendant plus de 250 ans…
Au-delà de l’histoire de la Verrerie de Meisenthal, c’est les filières traditionnelles verrières de tout un territoire qui s’échouent malheureusement dans la seconde moitié du XXème siècle. De Plus de 4000 emploi en 1900, on passe à 450 aujourd’hui. (Extinctions de fours de la Cristallerie de Montbronn en 1957, Fermeture de la Verrerie de Meisenthal en 1969, de la Cristallerie Lorraine à Lemberg en 1997, de la Cristallerie d’Harzwiller en 2004, Fermeture de l’usine d’optique Sola à Goetzenbruck en 2005, plans sociaux à la Cristallerie Lalique, Saint-Louis…. )